
L’anosmie se caractérise par la perte totale ou partielle de l’odorat, environ 5% de la population est touchée. Il n’existe encore pas de traitement fiable .Comment aider les anosmiques et faire reconnaître ce handicap invisible ? Ce sont les questions que posent Sylvain Colombero membre de la chaire Anosmie dans son article de The Conversation
Vous vous souvenez sans doute de Louis de Funès dans son film culte L’Aile ou la cuisse, en 1976. Il incarnait un éminent critique gastronomique dans l’incapacité d’exercer son métier après avoir perdu aussi bien le goût que l’odorat. Maintenant, tentez de vous imaginer incapable de détecter l’odeur du brûlé ou celle d’une fuite de gaz, incapable de sentir votre propre odeur et celle de votre petit(e) ami(e) ? Vous voilà inquiet. Ou alors déboussolé. Vous êtes, en fait, dans la peau d’une personne touchée par l’anosmie, c’est-à-dire dépourvue d’odorat, un handicap invisible et méconnu.
L’anosmie peut se manifester dès la naissance, ou bien survenir à l’occasion d’une autre pathologie. Elle se définit comme une déficience sensorielle entraînant la perte totale de l’odorat – une perte partielle de ce sens étant qualifiée d’hyposmie. La perte de l’odorat peut paraître anodine, comparée par exemple à la perte de la vue ou de l’ouïe. Il n’en est rien. L’absence de capacités olfactives complique les relations aux autres et pousse à l’isolement, entraînant souvent une désocialisation. Comment s’engager dans une relation avec quelqu’un que l’on ne peut pas « sentir », au sens premier du terme ? En fait, l’anosmie affecte profondément la vie quotidienne des personnes atteintes, au point que certaines ne sortent plus de chez elles. La maladie accroît le niveau de stress, augmente le sentiment de vulnérabilité physique et d’anxiété sociale.
On peut estimer la proportion de personnes touchées par l’anosmie ou l’hyposmie en France à 5 % de la population, en se référant aux données publiées en 2014 pour la Grande-Bretagne. Parmi celles-ci, 57 % souffrent d’isolement et 54 % éprouvent des difficultés relationnelles. Plus sérieux encore, on compte 43 % d’anosmiques dépressifs, 45 % de fortement anxieux et 92 % qui présentent des troubles alimentaires, comme l’anorexie mentale. Et pourtant, en dépit de ces effets induits importants, la maladie demeure aujourd’hui largement ignorée.
Plus fréquent avec l’âge
Ainsi, il n’existe pour l’instant ni diagnostic fiable ni traitement pertinent. Et un petit nombre de médecins ORL seulement s’intéressent à cette pathologie. Les anosmiques se sentent à juste titre abandonnés car leur handicap n’est pas reconnu comme tel, alors qu’il provoque une forte détérioration de leur qualité de vie. Or l’anosmie pourrait devenir rapidement un problème important à l’échelle de la société, avec le vieillissement de la population. En effet, ce symptôme accompagne souvent les pathologies neurodégénératives, comme la maladie d’Alzheimer ou Parkinson. Plus fréquente à mesure qu’on avance en âge, l’anosmie ou l’hyposmie affectent 10 % des personnes jeunes et 40 % des personnes âgées selon une étude publiée en 2015.
Notre équipe à Grenoble École de Management s’intéresse à l’anosmie, et cela surprend souvent nos interlocuteurs. Il ne s’agit pas, pour nous, de lancer une action caritative, mais bien d’ouvrir un champ d’investigation nouveau dans notre discipline, la recherche en sciences de gestion. Selon nous, l’une des missions des écoles de management est de contribuer à l’amélioration de la société en formant les futurs acteurs socio-économiques pour qu’ils conçoivent et développent des activités et des organisations responsables. Créer un monde meilleur peut prendre plusieurs formes et se pencher sur le bien-être des personnes souffrant de maladies rares en est une.
Plus concrètement, notre objectif est de mettre à la portée des patients anosmiques des outils leur permettant de mieux vivre. Nous souhaitons réfléchir aux moyens de rendre disponibles des traitements ou des prothèses remplaçant l’odorat à des prix raisonnables, penser des modes d’actions collectives efficaces pour promouvoir la reconnaissance de ce handicap invisible. Autant de sujets relevant de la compétence de chercheurs en management qui, comme nous, s’attachent à donner corps à cet apparent paradoxe : rendre visible l’invisible.
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