
Les parents qui font des choix alimentaires vertueux pour leurs enfants se montrent plus laxistes pour eux-mêmes. C’est la conclusion de cinq études de terrain menées ces dernières années en Australie et aux Pays-Bas. Anika Schumacher, professeur assistant de marketing à Grenoble Ecole de Management, décode ces comportements inattendus.
Pourquoi avez-vous décidé de travailler sur ce sujet ?
A.S : Je suis partie de l'observation de mon quotidien. Nous faisons constamment des choix alimentaires, pour nous-mêmes et si nous sommes parents, pour nos enfants. Mais qu'est-ce qui guide ces choix ? Aucune étude n'apportait de réponse, alors qu'il s'agit d'un mécanisme clé d'un point de vue marketing et santé. J'ai voulu creuser le sujet. Même s'il est long et complexe de constituer un échantillon de parents et d'enfants, de les réunir simultanément, etc.
Quel âge avaient les enfants sur lesquels vous avez travaillé ?
Les cinq études se sont déroulées dans des cadres assez différents, par exemple un jardin d'enfants, une piscine publique qui donnait des cours de natation, une université… De ce fait, nous avons travaillé avec des tranches d'âge très variées, de 1 an à 18 ans environ. Si on ajoute les parents, nous avons observé plus de 700 personnes.
Malgré cette diversité de profils et de contextes, le mécanisme de choix reste le même ?
Tout à fait. Les parents qui choisissent un aliment sain pour leur enfant, quel que soit son âge, sont plus laxistes pour eux-mêmes. Exemple : au jardin d'enfants, nous leur demandions de choisir du raisin ou des bonbons en gélatine pour la collation de leur enfant. Puis nous leur proposions une dégustation de chocolat. Les parents qui avaient opté pour le raisin consommaient bien plus de chocolat que les autres !
Ces expériences sont-elles représentatives de la « vraie vie » ?
Dans nos sociétés, parents et enfants prennent la majorité de leurs repas séparément. Les parents sont conduits très souvent à effectuer ces doubles choix. De plus, une autre étude a mis en évidence le même mécanisme pour la lecture.
Nous demandions à des parents de choisir un livre de cuisine pour leur enfant : soit des recettes saines, soit des recettes beaucoup moins bénéfiques pour la santé. Puis nous leur proposions de choisir une revue pour eux-mêmes, avec un choix qui allait du magazine people à la revue scientifique. Or, les parents qui avaient retenu le livre de recettes saines pour leur enfant ont nettement préféré la presse de divertissement.
Choisir avec soin l'alimentation de ses enfants pourrait donc avoir des conséquences négatives à long terme sur la santé des parents ?
Je suis chercheuse en marketing, pas en nutrition et santé ; impossible pour moi d'avancer une telle conclusion. En revanche, nos études montrent l'attrait des parents les plus attentifs à l'alimentation de leurs enfants pour les produits riches en calories, gras, sucrés, etc. Si ce comportement se répète fréquemment, c'est problématique.
Que proposez-vous pour contrecarrer cette tendance ?
Les pouvoirs publics et les firmes agroalimentaires soucieuses de leur image pourraient intégrer des messages pédagogiques à l'attention des parents, sur les packagings des produits alimentaires « vertueux » pour enfants ; ou encore, leur proposer des recettes de plats sains. Autre piste, lors des achats en ligne : si j'achète un « bon aliment » pour enfant, le site me fait des suggestions de « bons aliments » pour adultes.
Peut-on éviter ce mécanisme de choix différenciés au sein de la cellule familiale ?
C'est possible si on change de contexte. Dans l'une de nos études, nous avons demandé à des étudiants d'offrir à leurs parents un chèque-cadeau pour deux repas au restaurant, par exemple à l'occasion de la fête des Mères. Plus les jeunes choisissent une table qui cuisine des plats « sains », plus ils se comportent eux-mêmes de manière vertueuse ; ce sont ceux qui mangent le moins de chocolat si on leur propose une dégustation.
Les parents peuvent aller dans ce sens en suggérant à leurs enfants qui leur offrent un restaurant de choisir une adresse qui cumule saveur et santé. C'est bon pour toute la famille !