
La chaire Femmes et Renouveau Economique a initié un vaste programme de recherche-action, visant une meilleure compréhension de la place des femmes entrepreneurs dans les Quartiers prioritaires des villes (QPV) en France, dans le monde et bientôt au sein de l’UE.
En septembre 2020, la Chaire Femmes et Renouveau Economique (FERE) a initié un vaste programme de recherche, visant une meilleure compréhension de la place des femmes entrepreneurs dans les Quartiers prioritaires des villes (QPV) en France, aux Etats-Unis, au Liban, en Afrique du Sud, au Sénégal, et bientôt au sein de l'UE.
Séverine Le Loarne, Professeure à Grenoble Ecole de Management, spécialisée dans l'entrepreneuriat féminin et titulaire de la chaire FERE, nous apporte son éclairage sur les premiers résultats d'une recherche-action inédite dans le quartier Villeneuve, à Grenoble.
Pourquoi avoir choisi cette thématique de recherche ?
Depuis plus de 40 ans, de nombreuses recherches scientifiques internationales ont été conduites sur l'entrepreneuriat féminin. Toutefois, ces recherches se sont surtout focalisées sur les femmes très diplômées, de CSP supérieure. On note ainsi des invariants culturels et des variables, liées au contexte. Entreprendre pour les femmes aux Etats-Unis, y compris dans la Silicone Valley, est aussi difficile qu'en France.
L'enjeu de notre recherche porte sur l'entrepreneuriat féminin au quotidien, auquel s'ajoute la dimension des Quartiers prioritaires. Jusqu'ici, les recherches existantes se sont centrées sur de petits projets, dotés de faibles moyens et de taux de remboursement à 8 % !
Sur le terrain, pourtant, il existe des personnes qui, par essence, savent entreprendre. C'est le cas de femmes entrepreneurs du quartier Villeneuve, à Grenoble, qui sont instigatrices d'une plateforme de prototypage de couture franco-africaine par exemple. Ces femmes, créatrices d'entreprises, pensent « grand », sont créatives et polyculturelles. Elles développent leur propre activité, tout en y intégrant de facto une dimension internationale. Les QPV vont à l'encontre des idées reçues : ils représentent souvent des marchés à potentiel, où le sens du business est développé. Certaines femmes ont leur microentreprise et génèrent 80 K€ de chiffres d'affaires annuels !
Au vu des premiers résultats de votre recherche, à Grenoble, quelles sont les grandes caractéristiques de l'entrepreneuriat féminin dans les QPV ?
Il existe deux profils d'entrepreneures dans les QPV : ce sont soit des femmes entrepreneurs qui créent leur propre emploi, de façon très similaire à d'autres quartiers – à la différence près que l'idée de business est directement en lien avec les besoins du quartier, via la création d'une auto-école, par exemple. Les idées de business sont donc très contextualisées. Soit, il s'agit d'un entrepreneuriat « débrouille », fondé sur des pratiques informelles. Pour lever des fonds, ces femmes, souvent dotées d'une double culture, envisagent donc d'emblée un business potentiellement international avec des ambitions franco-africaines, et font appel à des fonds issus de la diaspora.
D'un point de vue sociologique, ce sont des femmes qui se sont construites seules – voire en opposition avec les familles. Elles sont respectueuses de l'institution, mais n'hésitent pas à la remettre en cause. C'est ainsi que les femmes, lors d'un accompagnement, décident, parfois, avant le coach. Les femmes des QPV détiennent une autre grande caractéristique : pour ne pas se heurter au même plafond de verre que leurs consoeurs d'autres quartiers, ces femmes déconstruisent le genre, adoptent des stratégies de croissance organique et des stratégies de financement alternatives. L'enjeu, ici plus qu'ailleurs, est donc de personnaliser leur accompagnement.
Quelles sont les ambitions, les modalités de réalisation et les sources de financement de cette recherche-action ?
Ce programme de recherche international a une ambition à cinq ans. Peut-être plus. Notre objectif est de comprendre comment générer de l'entrepreneuriat d'ambition et de l'innovation dans les pays développés et dans les zones défavorisées : en France, à Villeneuve, à Pantin dans le 93, dans les quartiers Nord de Marseille, mais également aux Etats-Unis, notamment à Détroit, en Afrique du Sud, au Sénégal et au Liban, auprès des refugiés syriens.
Cette recherche-action vise à comprendre et à accompagner, dans le même temps, les femmes entrepreneurs. L'initiative a tout naturellement trouvé son point d'ancrage dans le quartier Villeneuve, à Grenoble, avec la création d'un incubateur à GEM, en septembre 2020. On observe les pratiques entrepreneuriales et on les accompagne via la mise en place de dispositifs expérimentaux orientés sur les questions de levée de fonds, de création d'emplois, etc. Les actions de la chaire Femmes & Renouveau Economique et de l'incubateur partenaire « GEM Les Premières AURA » bénéficient du soutien financier de la Préfecture de l'Isère, de la Métropole grenobloise et de fonds privés comme ceux du groupe AG2R et d'autres sponsors comme Oobee espace co-work.
La chaire Femmes & Renouveau Economique est co-hébergée par Grenoble Ecole de Management et la Fondation GEM School for Business For Society. L'entité regroupe 23 chercheurs affiliés, deux et bientôt trois à Grenoble, six à Paris, deux au Liban, un chercheur au Sénégal, une équipe aux Etats-Unis…
Quels seront vos prochains « terrains » et protocoles de recherche ?
Sur chaque site – en France, aux Etats-Unis, par exemple –, nous mettons en place des études ethnographiques, par l'intermédiaire des chercheurs affiliés, qui collectent et analysent les pratiques entrepreneuriales qui sont accompagnées par des incubateurs, des organismes partenaires. Mais les chercheurs n'accompagnent pas les créatrices d'entreprises. L'idée est de ne pas être juge et partie.
A Grenoble, une dizaine de personnes, chercheurs et accompagnateurs, interviennent à Villeneuve depuis septembre 2020, et ont déjà produit plus d'un millier de pages de données collectées. Nous avons amorcé notre recherche en septembre dernier à Pantin et nous démarrons notre programme début novembre à Aubagne. Tour part de Villeneuve, et petit à petit, on s'étend. Il existe déjà une forte connivence entre les différents territoires.
Nous avons présenté nos premiers résultats à l'OCDE, en juillet 2021, et plusieurs publications de notre recherche sont en cours de réalisation. Notre programme devrait s'étendre par la suite dans les quartiers périphériques de grandes villes européennes.
A terme, le pari de cette recherche-action est de générer une autre image de la femme des quartiers, en favorisant l'émergence de femmes créatrices d'entreprises, qui aient une place à part entière et contribuent au développement économique de la cité.